Première partie : L’importance des bois morts en bonsaiIl faut bien le dire, les bois morts en bonsaï, qu’ils soient naturels ou artificiels, ne sont pas de tous les goûts. Il y a ceux qui aiment, ceux qui sont indifférents, et ceux qui n’aiment pas. C’est tout à fait normal et probablement très sain. Le monde du bonsaï est vaste, et les différences d’opinions, d’attitudes et d’approches, pour autant que celles-ci ne se transforment pas en querelles de clocher, font la richesse et l’intérêt de cet art qui nous passionne.
Pour ma part, mon expérience du bonsaï est aussi celle des bois morts. La particularité de mes arbres – en majorité des oliviers sauvages issus de prélèvements – fait que j’ai dû pratiquer le travail du bois mort très tôt. En effet, les oliviers que l’on trouve chez moi n’ont rien à voir avec les superbes oliviers majorquins ou calabrais, à l’aspect torturé, que l’on admire à la lecture des magazines spécialisés ou dans les expositions européennes. Non, ils poussent vigoureusement sur des terrains propices, dans un climat qui leur est sain. Résultat, les oliviers sauvages qui ornent les collines d’Adelaïde sont souvent des arbres multi-troncs, inexploitables en bonsaï sans interventions drastiques. Au moment du prélèvement, ces arbres de 4 à 6 mètres sont transformés en moignons de moins d’un mètre.
By ericbouvet at 2012-03-13
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Après le temps de récupération, je me mets à considérer mes arbres d’un point de vue esthétique et je me demande ce que je vais bien pouvoir faire de ces grosses coupes. A ce moment-là, trois choix esthétiques s’offrent à moi :
1. Je ne faire rien, espérant pouvoir cacher les coupes dans un feuillage abondant.
2. Je décide que les coupes (faites en biais) seront placées à l’arrière de l’arbre et qu’avec un peu de travail et plusieurs années de culture, elles donneront l’illusion de se fondre dans le prolongement de la branche qui deviendra le futur tronc.
3. Je tire profit de la coupe pour un faire un élément important de ma composition. L’arbre pourra ainsi être regardé sous toutes ses faces, sans qu’il n’ait rien à cacher.
Cette troisième solution, vous vous en doutez, est la mienne. Pourquoi ? Parce que je considère que dans ma situation, la création de bois mort résout mon dilemme esthétique et participe pleinement à la création d’un bonsaï, qui un jour peut-être, racontera l’histoire d’un arbre qui a souffert des vicissitudes du temps et des intempéries, mais qui triomphe dans toute sa majesté et sa beauté, même si cette histoire est fictive. Le bonsaï, c’est l’art de créer l’illusion ; une illusion plus ou moins codifiée qui engendre un récit subtil (celui de l’arbre et peut-être celui de son créateur), générateur d’émotions et d’appréciation chez le spectateur qui sait lire l’arbre.
Un élément important de cette illusion, c’est l’impression d’âge donnée au bonsaï afin de l’imprégner de cette mystique et de cette magie qui enchanteront ses admirateurs. Les plus beaux bonsaï possèdent déjà cette qualité : ils sont naturellement vieux. Leur stylisation ne fait que renforcer leur caractère déjà vénérable. Mais, dans la majorité des cas – et dans le mien en particulier – nos arbres sont relativement jeunes car les prélèvements naturels centenaires aux bois morts naturels sculpturaux, se font rare et sont l’apanage de bonsaïka chevronnés (ou argentés).
By ericbouvet at 2012-03-13
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Ce long détour pour vous dire que le travail du bois mort, et surtout la création de bois morts à partir de bois vivants, est une partie intégrante de l’art du bonsaï issue de prélèvements. Elle est d’autant plus importante que les ‘yamadori urbains’ sont une source non négligeable de pré-bonsaï puisque la source des ‘yamadori naturels’ est limitée. Si les techniques d’entretien du bois mort sont présentées dans de nombreux ouvrages spécialisés et relativement connues, à mon avis, les techniques de création de bois le sont beaucoup moins. Hors, il me semble que ces techniques sont couramment utilisées pas les spécialistes du bonsaï. Les amateurs qui n’ont pas accès à ces techniques sont souvent perplexes à l’idée de travailler les coupes de leurs arbres. Soit qu’ils n’aient pas les connaissances et le matériel nécessaire, soient qu’ils n’aient pas de modèle à suivre qui corresponde à leur cas particulier. Signalons quand même l’existence de deux excellents ouvrages consacrés à l’art des bois morts : celui de François Jeker, intitulé
Les bois morts de nos bonsai et celui de Cheng Cheng-Kung
Bonsai shari, Si-diao (en anglais, traduit du chinois, en deux volumes). Bien que leur approche soit apparemment très différente, Jeker et Cheng se rapprochent sur le plan de l’esprit.
By ericbouvet at 2012-03-13
(http://www.jeker-bonsai.fr/index.php?id=7)
By ericbouvet at 2012-03-13
(http://www.sidiao.com/index_e.htm)
Sous la forme d’une introduction au travail des bois morts, but de ce fil est donc de présenter mon expérience en la matière. Cette expérience s’étale sur une petite dizaine d’années, durant lesquelles, j’ai principalement travaillé sur des oliviers, mais aussi, plus récemment, sur des chênes, des ormes, des aubépines et des frênes. Mon propos se basera donc sur l’olivier, l’arbre que je connais le mieux, tout en étant conscient que cet arbre n’est pas universel et que les techniques utilisées sur d’autres espèces peuvent être très différentes. Dans cette introduction, j’ai abordé le travail des bois mort de façon conceptuelle ; j’ai argüé que la création de bois morts est essentielle dans la formation des yamadori, surtout dans le contexte du ‘yamadori urbain’. Le travail des bois morts doit être considéré comme un art à part entière et non pas comme une simple nécessité. La semaine prochaine nous nous pencherons sur les outils utilisés pour travailler les bois morts.